Parole à Hervé GOUYET, Président d’Electriciens Sans Frontières.

Actualité Électricité

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Depuis près de deux ans, la crise sanitaire a focalisé toutes les attentions. Pourtant, la situation de certaines populations, qui n’ont notamment pas accès à l’électricité, reste urgente. Comment vous êtes-vous organisés pendant la pandémie ?

En avril 2020, alors que le virus de la Covid-19 se propage mondialement en Afrique, en Asie ou encore en Amérique du Sud, nous avons lancé un « plan COVID » en soutien rapide aux structures de santé afin de renforcer leur capacité à faire face à la pandémie.

Nous avons sondé nos partenaires locaux sur leurs besoins : près de 200 structures de santé bénéficiaires de nos actions entre 2010 et 2020 ont ainsi été interrogées sur l'état de leurs installations électriques et leurs besoins de renforcement. Parmi elles, 95 structures de santé ont exprimé des besoins en conservateurs de vaccins, en réhabilitations, installations photovoltaïques complémentaires, groupes électrogènes ou lampes afin de faire face à l’augmentation du nombre de patients et de déplacements nocturnes des personnels soignants. A ce jour, le plan Covid a permis de distribuer plus de 1000 lampes solaires au personnel soignant de 67 centres de santé dans 6 pays : Togo, Bénin, Mali, Niger, Burkina Faso et Madagascar, et nous avons pu renforcer les installations électriques de 25 structures de santé dans 6 pays également : Togo, Burkina Faso, Bénin, Cameroun, Madagascar et Sénégal.

Afin de permettre la poursuite de nos activités, nous nous sommes organisés très rapidement pour intervenir à distance en nous appuyant sur les partenaires associatifs et entreprises d’électricité locaux. Nous avons ainsi capitalisé sur ces nouvelles façons d’agir, pour faire plus et mieux, en termes de transferts de compétences et de leur valorisation au service de l’accès à l’énergie.

Vous intervenez dans des situations urgentes pour rétablir l’électricité après une catastrophe naturelle ou installer l’électricité dans des lieux très isolés. Quels sont les différents moyens que vous développez sur le terrain pour accomplir votre mission ? (Production (kits solaires), réseaux, stockage, formation, etc)

Comme ambitionné par l’ODD 7, nous faisons notre maximum pour fournir un accès à des services énergétiques à faible impact environnemental, fiables, durables et à un coût abordable.  Pour les projets de développement, nous nous appuyons à 95 % sur des solutions photovoltaïques voire hydroélectriques lorsque c’est possible.

En situation d’urgence, après une catastrophe naturelle ou en situation de conflit (comme c’est le cas actuellement en Ukraine), même si des solutions solaires trouvent de plus en plus leur place, nous avons encore recours à des groupes électrogènes pour rétablir rapidement l’accès à l’électricité. Puis, dès que la situation le permet, nous mettons en place des solutions plus pérennes et compatibles avec les enjeux climatiques.

Ainsi, suite à l’explosion survenue en août 2020 dans le port de Beyrouth, Electriciens sans frontières est intervenue en post-urgence pour répondre aux besoins en électricité de la population à travers la distribution de lampes solaires, mais aussi aux besoins d’ONG œuvrant sur place avec la mise en place de petits groupes électrogènes. En outre, lors de cette mission, nous avons été sollicités pour apporter des solutions d’électrification pérennes peu onéreuses et respectueuses de l’environnement à des établissements scolaires touchés par l’explosion et fragilisés par la crise énergétique et financière, menaçant leur capacité à mener à bien leur mission éducative. Ainsi nous sommes actuellement en train d’installer des toitures photovoltaïques sur 6 écoles et centres de formation qui vont permettre de réduire à la fois les émissions de CO2 et les factures de fioul des groupes électrogènes jusqu’alors utilisés. Tous les ans ce seront entre 400 et 500 tonnes de CO2 qui seront ainsi évitées.

Le projet Café Lumière à Madagascar s’appuie sur les micro-réseaux électriques. Pouvez-vous nous présenter ce projet, ses innovations et ses conséquences ? Avez-vous développé ce modèle ailleurs ?

A Madagascar, 15 millions de personnes n'ont pas accès à l'électricité. La majorité d'entre elles vivent en zone rurale. Dans les villages isolés, les activités agricoles et artisanales sont réalisées manuellement ou en utilisant des dispositifs chers et polluants, tels que des décortiqueuses à céréales actionnées par des moteurs diesel. La nuit, l'éclairage est rudimentaire dans les habitations et absent des espaces publics. La situation sanitaire et les conditions d'enseignement sont précaires, la pauvreté s'accroît.

La solution Café Lumière créée et développée par Electriciens sans frontières propose une électrification rurale innovante, autonome, durable et à moindre coût contribuant à l’amélioration des conditions de vie et du développement économique des communautés rurales.

Concrètement, pour les villages concernés et leurs bénéficiaires, Café Lumière prend la forme d’une mini-centrale électrique photovoltaïque avec des batteries de stockage et un groupe électrogène de secours,  un mini-réseau aérien de proximité desservant des unités de production (ateliers de décorticage ou artisanaux), des services collectifs (écoles, mairie, centres de santé), des habitations, l’éclairage public des principaux lieux de vie et une boutique Café Lumière implantée au centre de la localité, où sont proposés différents services basés sur l’électricité (recharge de lampes solaires et de téléphones portables, utilisation d’un ordinateur ou d’une imprimante, d’un réfrigérateur, etc.).

6 Café Lumière sont pleinement opérationnels dans 6 communes malgaches. Au-delà 4 sont en cours de construction au Bénin et 12 sont programmés dans 3 pays : Bénin, Madagascar et Togo. L’évaluation externe finale, cofinancée par l’Agence Française de Développement, conclut que « les impacts du projet sont très importants sur les conditions de vie des populations et notamment des femmes, par le confort et la sécurité qu’apporte une électricité fiable et abordable. Le projet améliore nettement la qualité des services publics (éducation, accès aux centres de santé, sécurité publique) et les résultats des focus groups soulignent l’appui au dynamisme économique et le développement des activités génératrices de revenus ». 

Par ailleurs, les énergies renouvelables représentent plus de 90% de vos projets. Pourquoi s’être concentré très tôt sur ces énergies, était-ce un choix technique, économique, de conviction ?

Avec, aujourd’hui encore, plus de 700 millions de personnes qui n’ont pas accès à l’électricité dans le Monde, les réponses à leurs besoins énergétiques doivent se faire tout en luttant contre le dérèglement climatique. La transition énergétique dans les pays sous-équipés c’est souvent remplacer les lampes à kérosène et le bois de chauffe par des énergies renouvelables qui ont des impacts bien moindres sur l’environnement tout en étant au moins aussi efficaces et plus abordables économiquement. La transition énergétique n’est donc pas seulement une obligation qui s’impose pour limiter les émissions de gaz à effet de serre mais bel et bien un levier de développement social et économique.

Grâce aux progrès techniques et à la baisse de leurs coûts, en milieu rural, loin des réseaux, les énergies renouvelables sont donc aujourd’hui (et elles le seront de plus en plus chaque année !)  à la fois des choix techniques et économiques rationnels puisque ce sont des solutions efficaces et compétitives mais aussi un choix volontariste, militant, car le solaire, l’hydraulique et le vent sont les solutions les plus prometteuses et les plus universelles pour atteindre progressivement le mix électrique sans carbone dont la Planète et toutes les espèces qui y vivent et y vivront ont besoin  !

Vous avez participé en novembre dernier à la COP 26. Atteindre la neutralité carbone pour limiter le réchauffement climatique et ses conséquences pour des millions de personnes est une obligation.Electriciens sans frontières a annoncé vouloir développer une stratégie environnementale en complément de son action auprès des plus fragiles. Pouvez-vous détailler cette stratégie et les futurs projets de votre ONG ?

Notre rôle, en tant qu’ONG de solidarité internationale, est d’agir pour le bien commun. Cependant, nos actions, comme toute action de développement, ont des impacts sur l’environnement. Nous nous sommes engagés aux côtés d’organisations humanitaires à intégrer la prise en compte des enjeux climatiques dans nos opérations à travers le consortium CHANGE (Consortium des acteurs et réseaux humanitaires engagés dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre). Nous nous engageons notamment à mesurer les impacts environnementaux et carbone de nos actions, adapter nos actions pour relever les défis impérieux liés au Climat et réduire ainsi nos émissions d’ici 2030.

Enfin, nous ne pourrions pas clore cet échange sans parler de la situation humanitaire très difficile en Ukraine. Depuis le début de cette crise, 2 millions de personnes ont fui le pays et près de 700 000 personnes n’auraient plus accès à l’électricité selon les autorités ukrainiennes. Comment Electriciens sans frontières s’est-il mobilisé pour venir en aide à ces personnes ? Avez-vous un message à passer aux acteurs du secteur de l’énergie ?

Depuis le 24 février, nous sommes particulièrement mobilisés pour nous préparer à apporter un peu de lumière et d’électricité aux millions de réfugiés ukrainiens qui fuient les bombardements.

Le 8 mars 2022 : un premier envoi de matériels en coordination avec le centre de crise et de soutien du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères (CDCS) a eu lieu à destination de la Slovaquie pour répondre aux besoins des personnes déplacées, notamment pour la recharge de moyens de communication, les besoins quotidiens et essentiels d’accès à l’eau et à l’électricité, pour s’alimenter et se chauffer. Un deuxième envoi en coordination avec le CDCS et Enedis auprès du gouvernement moldave pour la mise à disposition et l’installation de groupes électrogènes de fortes puissances est en cours. Une équipe de volontaires doit partir à la frontière polonaise pour intervenir dans les premiers camps de réfugiés mis en place.

Mais avec l’installation de nombreux camps de réfugiés dans plusieurs pays limitrophes, nous allons devoir redoubler d’efforts pour apporter notre savoir-faire à de nombreux autres organismes et associations mobilisés comme nous le sommes pour que de nombreuses familles ukrainiennes puissent continuer à vivre, loin de chez elles, dans des conditions aussi dignes que possible : faciliter, envers et contre tout, l’accès à l’électricité à tous ceux qui en sont privés c’est notre raison d’être. Le soutien de tous les acteurs de la filière électrique pour nous aider à réaliser ces actions sera indispensable ! Pour nous aider à agir :

  • Relayez et partagez nos communications sur vos réseaux sociaux pour donner encore plus de visibilité à Electriciens sans frontières et à notre appel à don.
  • Faites un don pour qu’Electriciens sans frontières intervienne efficacement à la hauteur des besoins évalués des populations réfugiées

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