20.12.2021
gaz & électricité

Questions à Anthony CELLIER député du Gard, membre de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale et président du Conseil supérieur de l’énergie.

Monsieur le Président, vous êtes député du Gard, membre de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale et président du Conseil supérieur de l’énergie. Auparavant, vous aviez travaillé dans le secteur privé. Etiez-vous déjà familier des sujets énergétiques avant votre mandat ? Comment ce sujet s’est-il retrouvé au cœur de vos travaux au Parlement ? Votre vision de ce secteur a-t-elle connu une évolution pendant votre mandat en tant que député et membre puis président du Conseil supérieur de l’énergie ?

La Vallée du Rhône, dont je suis issu, est à mon sens représentative de la politique énergétique française, passée, présente et à venir.

Des mines de charbon d’Alès, à l’ancienne centrale fioul d’Aramon désormais fermées, des sites de production solaires ou éoliens aux centrales nucléaires du Tricastin ou de Cruas, des sites de recherche, d’enrichissement ou de démantèlement de Marcoule, en passant par les différents ouvrages hydrauliques le long du Rhône, ou les sites expérimentaux d’agrivoltaisme, de pyrogazéification, ou d’hydrogène, l’énergie a toujours été au cœur de mon territoire.

Et si vous ajoutez à cela que l’énergie fait partie des sujets les plus politiques qui soient, car elle touche des enjeux de souveraineté, de reconversion de site industriel, de recherche fondamentale, de production, de dynamique économique, d’enjeux environnementaux, d’attractivité des territoires et de formation. Vous avez, pour moi, une explication quasi évidente de mon engagement sur ce thème.

Je pense en fait que l’énergie a été le liant évident entre l’amour que je porte à mon pays, à mon territoire et leur avenir, et le mandat national qui m’a été confié. Si je peux m’exprimer ainsi, la thématique énergétique a été la passerelle voire la prolongation évidente entre mes activités nationales et locales, mais je ne saurais dire qui des deux a inspiré l’autre.

Au-delà d’être politique, l’énergie est aussi un domaine éminemment technique, je le vois d’autant plus avec la présidence du Conseil Supérieur de l’énergie. Et n’ayant pas un cursus de formation issu de la filière, il m’a fallu redoubler d’efforts et d’abnégation pour gagner en légitimité et, à l’Assemblée nationale, ce n’est pas chose facile. Personnellement, je pense qu’un élu ne doit pas se transformer en technicien, mais qu’il doit être curieux et à l’écoute, il doit savoir aussi s’entourer de personnes compétentes, et toujours avoir l’œil critique car d’où que viennent les informations que ce soit d’un opérateur historique, ou d’un fournisseur alternatif, d’une administration, d’une ONG ou d’une communauté d’énergie citoyenne, elles sont en majeure partie techniquement fondées, mais elles doivent être politiquement assumées.

En ce sens -là, mon regard est en perpétuelle évolution. Ainsi, là où il y avait pour moi une intime conviction entre les enjeux liés au climat et à l’énergie, et une forme d’intuition des liens entre l’énergie et mon engagement politique national et local, je dois dire que ma vision s’enrichit continuellement au grès de mes rencontres comme en ce moment, sur les enjeux de la présidence de l’Europe ou la bulle gazière que nous vivons.

 

Le Conseil supérieur de l’énergie, instance consultative rendant des avis sur les textes réglementaires relatifs à l’énergie, composée de parlementaires, des pouvoirs publics et des acteurs du secteur, va prochainement connaître de nouvelles modalités de fonctionnement. Pouvez-vous revenir sur ces évolutions et les raisons qui les ont motivées ?

 

Dès ma prise de fonction en décembre 2020, j’ai souhaité lancer un plan de modernisation du Conseil supérieur de l’énergie. Non pas pour le « dépoussiérer » ou le « révolutionner » comme j’ai pu le lire ici et là, mais bien pour l’adapter à notre temps. Cette démarche reposait sur plusieurs constats : le premier étant que les règles de fonctionnement du Conseil supérieur de l’énergie n’avaient pas été modifiées depuis sa création. En termes de stabilité, c’est une excellente chose mais ces règles n’étaient plus adaptées pour des séances dont la durée tend progressivement à s’allonger en raison du volume de textes et d’amendements ; le second constat renvoie à la communication du Conseil. Auparavant, il n’y avait aucune communication, que ce soit sur les textes examinés ou sur les avis exprimés. Cela ne reflète pas la réalité du travail des membres qui, je peux vous l’assurer, est d’une grande qualité ; le troisième et dernier constat est celui d’un monde de l’énergie qui a évolué, les enjeux ne sont plus les mêmes qu’il y a 15 ans, il était donc important de refléter cette réalité dans la composition du Conseil supérieur de l’énergie.

Partant de ces trois constats, j’ai lancé une consultation des membres en février 2021 afin de recueillir leurs avis et recommandations sur les différents chantiers à mener. Cette consultation a débouché sur l’adoption d’un nouveau règlement intérieur en juin dernier et de nouvelles règles en matière de communication. Désormais, les textes examinés et les avis exprimés seront publiés sur une page internet du Ministère de la transition écologique. Un rapport d’activité sera également publié chaque année permettant de résumer l’intégralité des travaux du Conseil.

Enfin, il y a quelques semaines, j’ai annoncé la recomposition de l’instance avec l’intégration de 9 nouveaux membres permettant de représenter au mieux le monde de l’énergie d’aujourd’hui. Il était par exemple important pour moi d’intégrer une composante climat. La recomposition du Conseil supérieur de l’énergie ne pouvait se faire qu’en corrélation avec nos ambitions climatiques. Cela doit permettre de faire évoluer les regards sur les textes réglementaires à examiner.

La situation actuelle des prix de l’énergie est inédite en Europe et est la conséquence de situations conjoncturelles et structurelles. Comment analysez-vous cette crise, notamment son impact pour le secteur et nos concitoyens ?

 

Vous avez raison, cet automne, l’Europe vit une crise des prix de l’énergie principalement provoquée par la hausse des prix du gaz. Au-delà du gaz, cette crise s’inscrit plus globalement dans un contexte d’augmentation du prix des énergies fossiles : le prix du charbon a considérablement augmenté, celui du pétrole a doublé pour revenir au niveau de 2018… Le constat est assez simple, nous vivons une crise des énergies fossiles ! La vulnérabilité de l’Europe face à cette crise est à la mesure de notre dépendance à ces énergies.

Cette crise touche l’ensemble des consommateurs d’énergie, particuliers comme entreprises. 

À court terme, ce sont donc sur tous les tableaux que nous devons jouer pour traiter cette situation sans précédent. Le levier budgétaire, en aidant directement les ménages en difficulté à passer cette période difficile, c’est par exemple ce que nous avons souhaité faire avec l’octroi d’un chèque énergie supplémentaire ou le versement d’une indemnité inflation exceptionnelle. Le levier des tarifs, en bloquant les hausses successives qui auraient dû s’appliquer à l’ensemble des Français que ce soit pour l’électricité ou pour le gaz. Ces blocages de prix qui ont un coût important pour les fournisseurs d’énergie seront garantis par l’État. Nous avons également mis en place des mesures pour les industriels grâce à l’activation anticipée du mécanisme de compensation des coûts indirects du carbone afin de préserver la compétitivité de notre tissu industriel. Nous ne laissons personne sans solution face à cette crise.

Désintoxifier la France et plus généralement l’Europe des énergies fossiles est non seulement un impératif environnemental, mais également la meilleure des options pour nos concitoyens et la compétitivité des entreprises en les protégeant ainsi des futures mais inévitables fluctuations du marché. À ce titre, le choix français d’une transition énergétique équilibrée entre renouvelables et nucléaire est le bon. Nous défendons la place du nucléaire dans la transition à Bruxelles et nous continuerons à défendre cette approche, qui sort confortée de la situation actuelle, par rapport à ceux qui ont voulu croire à une sortie du nucléaire en le remplaçant temporairement par du gaz. Il est fondamental que la capacité des États-membres à intervenir pour pallier les insuffisances du marché, et pour choisir leur mix énergétique et en faire bénéficier leurs citoyens, soit reconnue.

 

Par ailleurs, le sujet énergétique a été très présent dans l’hémicycle depuis 2017, notamment à travers trois lois : la loi du 30 décembre 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu'à l'exploitation des hydrocarbures et portant diverses dispositions relatives à l'énergie et à l'environnement ; la loi Energie-Climat du 8 novembre 2019 et la loi Climat et Résilience du 22 août 2021. Quel bilan faites-vous de ces trois lois ? Dans le cas où vous seriez réélu pour un nouveau mandat de député, quelles propositions énergétiques souhaiteriez-vous voir aboutir ?

 

Sur ces différentes lois, le bilan est clairement positif, car elles entérinent des avancées très concrètes pour notre pays. Lorsque vous mettez fin à l’exploration de nouveaux gisements d’hydrocarbures sur le territoire et que vous engagez la fermeture des quatre dernières centrales à charbon en France, vous allez clairement dans le sens du climat !

Plus spécifiquement sur la loi énergie-climat, dont j’ai été le rapporteur, ce texte inscrit dans la loi les ambitions de notre pays dans la lutte contre le réchauffement climatique : la neutralité carbone, l’un des standards les plus ambitieux du monde en matière de lutte contre le changement climatique. Il met également en place une loi de programmation quinquennale qui viendra fixer, à partir de 2023, les grands objectifs énergétiques en termes d’énergies renouvelables, de consommation d’énergie, de sortie des énergies fossiles… Grâce à la loi énergie-climat, l’énergie sera discutée au Parlement lors de chaque mandature, il s’agit d’une grande avancée.

Mais au-delà de la satisfaction que j’en retire, j’ai bien conscience qu’il reste beaucoup à faire !

Il reste de nombreux chantiers à engager, je pense par exemple à la réforme de l’ARENH, à la fiscalité sur l’énergie ou encore à tous les enjeux liés à la flexibilité de la consommation. Je ferai des propositions en temps voulu et puis le mandat n’est pas encore terminé qui sait, il reste encore peut -être de la place pour une dernière loi sur l’énergie …

 

L’activité du Parlement sur ce sujet démontre le caractère stratégique de l’énergie. Quelle vision avez-vous de la mission du régulateur dans ce domaine ?

 

En tant qu’autorité administrative indépendante, la commission de régulation de l’énergie concourt au bon fonctionnement des marchés de l’électricité et du gaz naturel au bénéfice des consommateurs et en cohérence avec les objectifs de notre service public.

L’énergie n’est pas un bien de consommation banalisé. Des enjeux particulièrement importants pour notre société y sont attachés, c’est ce qui fait l’essence du service public de l’énergie. Une énergie disponible, accessible sur l’ensemble du territoire à un prix maîtrisé. L’élément principal de cette solidarité c’est le réseau. La Commission de régulation de l’énergie, en maintenant cette péréquation tarifaire, contribue à cette solidarité nationale et donc au maintien de ce service public.

Mais la Commission de la régulation de l’énergie n’est pas que la garante de la stabilité de notre système énergétique, elle est également un organe prospectif. On ne peut que saluer le lancement des comités prospectifs qui permettent d’éclairer le travail des parlementaires en les confrontant à la réalité du monde de l’énergie. Au-delà, la CRE intervient régulièrement au Conseil supérieur de l’énergie, dans les différentes auditions aux parlements et je dois dire qu’à chaque fois, que ce soit par la voix de son président ou de ses représentants, la Commission est particulièrement écoutée.