28.07.2022
gaz & électricité

Questions à Thomas Veyrenc, Directeur Exécutif du pôle stratégie, prospective et évaluation de RTE

Vous êtes directeur exécutif de RTE en charge de la stratégie, de la prospective et de l’évaluation. Pouvez-vous nous présenter votre pôle et vos missions au sein de l’entreprise ?

Mon pôle a été créé pour proposer des options pertinentes d’organisation du système électrique et de planification du réseau, sur la base d’analyses et de modèles rigoureux, confrontés au regard de nos partis prenantes. Il est composé de trois directions (études économiques, données et évaluation), regroupant des ingénieurs, économistes, modélisateurs et statisticiens tous passionnés par le défi immense que constitue la transition énergétique et convaincus de la nécessité de la planifier de manière rationnelle.

Il s’agit en premier lieu de piloter les activités « d'éclaireur institutionnel » de RTE, qui font partie de nos missions de service public. A ce titre, nous publions un grand nombre de données et de bilans, notamment sous forme numérique comme notre application Eco2mix qui donne à voir le fonctionnement en temps réel du réseau. Nous réalisons des analyses publiques sur l'évolution du système électrique – depuis les perspectives de long terme comme les Futurs énergétiques 2050 publiés l’an passé, jusqu’aux études saisonnières d'équilibre offre-demande, en passant par les schémas de développement des infrastructures de réseau. Ces analyses sont indissociables d’un travail systématique de concertation avec l’ensemble des parties prenantes (énergéticiens, consommateurs, organisations syndicales, ONG, associations professionnelles), auquel je tiens particulièrement.

Le travail consiste également à définir les priorités stratégiques de RTE en tant qu'opérateur industriel. Pour réaliser la transition énergétique, un « troisième cycle » d’évolution du réseau se profile maintenant, après celui de l’après-guerre - la reconstruction du pays - et celui des années 1980 – le développement du parc nucléaire. Il s’agit de faire les bons choix techniques, de cadencer la montée en puissance industrielle pour atteindre les différents objectifs de notre schéma directeur : renouveler l’infrastructure pour maintenir une excellente qualité de l’alimentation, adapter le cœur du réseau pour accueillir les nouvelles installations renouvelables et soutenir l’effort de réindustrialisation du pays, créer un réseau en mer à la hauteur des nouveaux objectifs français sur l’éolien en mer, développer des interconnexions, renforcer la couche numérique... tout cela en maîtrisant le coût de cette transformation.

Enfin, nous procédons à une évaluation des plans et programmes qui découlent des priorités stratégiques pour permettre des ajustements en fonction de l'évolution du contexte et des priorités.

Quelle est votre analyse sur la situation énergétique de la France pour l’hiver prochain ?

Tout d’abord, il est certain que nous vivons actuellement un véritable choc énergétique : envolée du prix des énergies fossiles importées, menaces sur l’approvisionnement. Ce qui vient rapidement à l’esprit est le parallèle avec les chocs pétroliers des années 1970, même si la situation n’est pas en tout point similaire. Et ce qui est certain est que cela doit nous inciter à accélérer la décarbonation de notre économie, l’impératif climatique concordant avec l’intérêt économique, stratégique ou éthique.

Cette crise européenne touche également l’électricité. Ceci peut paraître à première vue paradoxal en France vu que notre pays produit une électricité très largement décarbonée (à plus de 92%) et en a longtemps été très fortement exportateur. Pour autant, non seulement l’interconnexion des réseaux à l’échelle européenne est désormais une réalité –la fixation des prix de marché est donc largement européenne – mais en plus nous souffrons actuellement en France d’un problème de disponibilité du parc nucléaire et d’un rythme de déploiement des énergies renouvelables trop faible, ce qui nous conduit à devoir importer beaucoup plus fréquemment.

Pour l’hiver qui vient, les incertitudes sont encore nombreuses.

La plus évidente porte sur la disponibilité du gaz, et notamment chez nos voisins européens qui l’utilisent largement pour leur production d’électricité. Le second point d’interrogation concerne le niveau effectif de disponibilité du parc nucléaire français. Nous avons en ce moment de très nombreux réacteurs à l’arrêt pour des opérations de maintenance, une situation exceptionnelle par son ampleur mais qui a plusieurs racines :  

  • Sur le plan structurel, la période 2020-2025 était signalée de longue date comme un pic de l'activité industrielle pour le « grand carénage » du parc, avec de nombreux travaux structurants à mener à bien pour remplacer de gros composants des centrales et poursuivre leur exploitation au-delà de 40 ans. Il en résulte des travaux plus longs, qui pèsent sur la production du parc.
  • A ces opérations programmées de longue date, se sont ajoutés les effets de la crise sanitaire et des confinements de 2020, qui ont bouleversé les plannings de maintenance conduisant à des décalages et à une densification des opérations pour rattraper les retards accumulés.
  • Enfin, depuis la fin 2021, des campagnes de vérification ont été lancées sur plusieurs réacteurs suite à l’identification de défauts (corrosion sous contrainte) sur certains d’entre eux – les plus récents. Au temps nécessaire pour contrôler les réacteurs s’ajoute celui des réparations lorsqu’elles sont nécessaires : la remise en service de plusieurs des réacteurs des réacteurs à l’arrêt est prévue pour l’hiver, mais selon un rythme qui demeure à consolider. 

Il s’agit donc maintenant de stabiliser le diagnostic pour l’hiver. Une consultation des acteurs est actuellement en cours : elle nous permettra d’affiner les prévisions au cours du mois d’août, et d’actualiser les analyses à la sortie de l’été afin de donner le plus de visibilité à tout le monde.

RTE a développé Ecowatt, un outil d’alerte quand l’équilibre offre-demande sur le réseau électrique est tendu. Comment comptez-vous l’utiliser cet hiver ? Allez-vous développer de nouvelles fonctionnalités ?

Ecowatt est un service qui existe plus de dix ans. Il a été initialement développé dans deux régions, Bretagne et PACA, du fait de la faiblesse de l’offre de production « locale » et de leurs situations géographiques spécifiques.

Récemment, Ecowatt a été élargi au périmètre national pour devenir une "alerte météo de l'électricité". Le dispositif repose sur trois signaux : vert, orange, rouge. Il permet d'informer le grand public et les professionnels du niveau de tension du système électrique. Un signal rouge signifiera que des mesures d'urgences sont nécessaires pour éviter les coupures : au-delà des mesures d'économie d'énergie qu'il est recommandé de réaliser à chaque instant, il s'agira de lancer des actions plus poussées durant quelques heures dans la journée.

L'API de l'application est en cours de refonte afin d'être directement utilisable pour les consommateurs dotés d'équipements de domotiques, à la maison où dans les bâtiments tertiaires, industriels et commerciaux, permettant d'automatiser le déclenchement de ces mesures d'urgence.

RTE s'emploie actuellement à la diffusion de ce signal, notamment via des partenariats avec des entreprises ou des collectivités. De plus en plus d’organisations nous contactent pour signer la charte et s'engagent à mettre en œuvre des mesures dès cet hiver, c’est un signal encourageant.

Nous sommes dans une période où la sobriété énergétique appelle à une démarche citoyenne forte de la part de l’Etat, des entreprises et des particuliers ? Quel rôle entend jouer RTE dans cette période et quels conseils donneriez-vous aux consommateurs français ?

Nous avons beaucoup étudié le thème de la sobriété dans le cadre de l’un des scénarios de nos Futurs énergétiques 2050. Sur le temps long, la « sobriété choisie » implique des changements réels de mode de vie. Au-delà d’une somme de changements de comportements individuels, c’est-à-dire des choix de société structurants sur l’organisation de l’espace et de l’habitat, sur notre système productif pour réduire les besoins énergétiques, sur les mobilités…

A court terme, on ne parle pas de la même chose, il s’agit plutôt d’une « sobriété subie » : nous devons réduire notre consommation pour nous adapter à un système énergétique européen en crise. Les leviers ne sont pas les mêmes car les actions dont on parle doivent produire leurs effets dès les prochains mois.

Pour s’y préparer, notre premier rôle consiste à stabiliser un diagnostic précis : partager sur le niveau de risque et informer le public sur les actions qui ont le plus d’effet à court terme.

Ensuite, il s’agit de nous préparer à exploiter le système électrique proche de ses limites, afin de garantir l'équilibre offre-demande du pays y compris en situation de tension. Dans ces circonstances, nous pourrons émettre des signaux d'alerte Ecowatt pour appeler aux mesures d'urgences et organiser la mise en œuvre de moyens exceptionnels si la situation le requiert.

Enfin, en tant qu'entreprise, RTE tâche d'être exemplaire en matière d'économie d'énergies et de décalage de consommation. Nous avons déjà commencé à pratiquer des tests dans certains de nos bâtiments durant l'été.

Le premier conseil qui vient à l’esprit, c’est de commencer dès à présent à réaliser des économies d'énergies. Pour les entreprises, cela consiste aussi à se préparer rapidement à optimiser les consommations et à se mettre en situation de répondre aux signaux que leurs fournisseurs ou RTE pourra envoyer en cas de tension sur le système. Augmenter la résilience du système est un moyen de garantir l’approvisionnement en électricité de tous, mais également de faire baisser les prix, il s’agit donc de mesures sans regret.