Questions à Thierry Trouvé, directeur général de GRTgaz

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La France comme l’Europe traverse une crise de l’énergie sans précédent. La sécurité d’approvisionnement gazière est au cœur des préoccupations. Parole à Thierry Trouvé Directeur Général de GRTgaz qui nous livre sa vision de la situation.

La situation critique concerne l’approvisionnement gazier de l’Europe dure déjà depuis un an. Elle bouscule de nombreux acquis et modifie les voies d’approvisionnement. Nous assistons à une inversion des flux avec du gaz ne vient plus de l’Est mais plutôt de l’Ouest et du Sud et à un changement du rôle de la France qui devient une porte d’entrée pour le gaz naturel liquéfié (GNL) avec ses quatre terminaux méthaniers. Quel est votre regard sur cette situation ? Quel a été est l’impact de cette situation sur le travail de GRTgaz et de ses agents ?

En effet, la situation géopolitique que nous connaissons depuis le début de l’année a comme conséquence d’inverser radicalement les routes de l’approvisionnement en gaz de l’Europe telles que nous les connaissions depuis plus de 40 ans. Désormais les flux sont majoritairement orientés de l’Ouest vers l’Est du continent. Fort heureusement, du fait de sa situation géographique, la France dispose de 4 terminaux méthaniers, 13 stockages et 6 points d’interconnexions avec les pays voisins, une situation unique en Europe. Ces infrastructures se sont notamment développées avec les investissements réalisés au cours des 15 dernières années pour accompagner l’ouverture des marchés de l’énergie et la construction d’une zone unique en France sous l’impulsion de la CRE. Nous ne pouvons que nous en féliciter aujourd’hui.

Depuis le printemps, les équipes de GRTgaz sont pleinement mobilisées pour rendre possible cette inversion des flux sur le plan physique et contractuel. La contribution des équipes en charge de la surveillance de l’équilibre du système gaz et du monitoring de la situation fait l’objet de fortes attentes.

Nous travaillons à des mesures opérationnelles, dans des délais contraints, comme la mise en oeuvre d’un flux physique vers l’Allemagne, effective depuis le 13 octobre, ou le raccordement d’un terminal flottant au Havre dont la mise en service est prévue à l’été prochain. Mais nous devons aussi dès maintenant préparer le moyen terme et prendre les bonnes décisions sur les développements qu’il conviendra de réaliser en France et en Europe dans les prochaines années. Il faut aller vite et en même temps bien tenir compte de tous les paramètres : coûts, délais de réalisation, besoins, bénéfices attendus, évolution des consommations… sans oublier le développement des gaz renouvelables et du marché de l’hydrogène.

Vous avez présenté le 14 septembre, avec Teréga, vos prévisions concernant la sécurité d’approvisionnement en gaz pour cet hiver. Comment se présente la situation ?

Aujourd'hui, les stockages en France sont remplis à plus de 99 %, et nos terminaux méthaniers fonctionnent à plein régime. Nos simulations montrent qu’en hiver moyen ou en hiver doux, nous pouvons satisfaire la demande tout en soutenant le système électrique et en assurant la solidarité vis-à-vis de nos voisins.

L’enjeu pour nous c’est de gérer la situation sur la totalité de l'hiver de novembre à mars 2023. En fait, le principe consiste à préserver dès maintenant les stockages pour ne pas se retrouver, comme la cigale, dépourvue en fin d'hiver. De cette manière, même si l'hiver est froid ou très froid, nous ne devrions pas connaître de pénurie de gaz.

La sobriété en gaz ça concerne tous les Français, y compris - et c'est peut-être paradoxal -, ceux qui n'utilisent pas le gaz :  je pense notamment aux Français qui utilisent de l'électricité pour se chauffer, qui en fait, sans le savoir, vont indirectement consommer du gaz, et plus de gaz cette année que d'habitude encore, puisque le parc nucléaire est à la peine.

Concrètement, du fait du rendement dans les centrales à gaz, quelqu'un qui utilise un radiateur électrique, consomme deux fois plus de gaz, pour le même résultat que quelqu'un qui utilise une chaudière à gaz. Donc quand on dit qu'il faut économiser du gaz pour l'hiver prochain, c'est non seulement économiser du gaz en usage direct, mais c’est aussi économiser de l'électricité (et pas seulement pour soulager le système électrique).

Baisser la température d'un degré, c'est économiser 7 % d'énergie. Et c'est cet effort de sobriété, qui nous permettra justement d'éviter d'avoir des situations difficiles, en particulier en fin d'hiver.

La baisse de la consommation de gaz est essentielle pour donner des marges de manœuvre au système gazier cet hiver. De manière à soutenir cet appel à la sobriété, vous avez lancé Ecogaz le 20 octobre dernier. Pouvez-vous nous détailler cet outil ?

Parmi les différents leviers activables pour anticiper au jour le jour les éventuelles tensions sur le réseau et agir en amont des dispositifs visant à réduire la demande de gaz des consommateurs industriels. Les mesures de sobriété volontaires constituent un gisement capital. 

GRTgaz, avec Teréga et l’ADEME, ont lancé le dispositif Ecogaz pour inciter nos concitoyens à des efforts de sobriété et à communiquer auprès du plus grand nombre sur les gestes les plus efficaces pour réduire durablement les consommations de gaz. Ce dispositif est non seulement nécessaire pour l’hiver qui vient mais il s’inscrit dans la durée pour favoriser une consommation responsable et durable.

A l’instar d’Ecowatt, Ecogaz est un site internet, myecogaz.com, qui permet de connaitre en temps réel l’état de tension du réseau gaz selon 4 niveaux (vert, jaune, orange et rouge) à une échelle nationale et avec une visibilité sur 5 jours. Quotidiennement, Ecogaz envoie un signal, basé d’une part sur les prévisions de consommation des prochains jours et d’autre part sur l’équilibre entre les entrées (via les gazoducs, les terminaux méthaniers, les stockages et la production de biométhane) et les sorties de gaz sur le réseau. En cas de signal orange ou rouge, Ecogaz enverra une alerte aux consommateurs qui ont fait le choix de s’inscrire (via e-mail ou SMS) pour les prévenir et les inciter à réduire temporairement davantage encore leur consommation. 

L’efficacité du dispositif repose sur son appropriation par le plus grand nombre. Dès son lancement, une soixantaine de partenaires avaient rejoint Ecogaz ; des acteurs du logement, des entreprises, des fournisseurs d’énergie, mais aussi des collectivités et des médias. C’est une vraie satisfaction et je les en remercie. Chaque partenaire, signataire de la charte, est incité à démultiplier le champ d’action d’Ecogaz, tant au niveau de la transmission des alertes, de l’adoption de mesures concrètes pour réduire ses propres consommations ou des appels à la sobriété auprès de son écosystème.

Les mesures concrètes peuvent prendre diverses formes selon le type de partenaire, comme l’abaissement de la température de chauffage par un gestionnaire de parc de bureaux, le déclenchement par un fournisseur de gaz d’une tarification adaptée en fonction du niveau d’alerte, ou bien le relai des signaux d’alertes dans les bulletins météo des grands médias nationaux.

Les pouvoirs publics, en lien avec les gestionnaires de réseaux, se sont préparés à des situations les plus difficiles où la seule baisse de consommation ne serait pas suffisante. Un dispositif d’interruptibilité est prévu. Comment ce dernier fonctionnera-t-il ?

En effet, dans cette hypothèse, les gestionnaires de réseau pourraient être amenés à avoir recours à différentes mesures, à commencer par des mesures dites d’interruptibilité mais uniquement auprès des consommateurs industriels.

L’interruptibilité « secondaire » : depuis 2021, les clients industriels ayant une souscription de capacité d’acheminement ferme de plus de 40 MWh/j peuvent s’engager volontairement à réduire tout ou partie de leur consommation sous 24h à la demande de leur gestionnaire de réseau en contrepartie d’une exemption du terme de compensation stockage. 29 contrats ont été signés en 2022 par des clients de GRTgaz représentant un volume total de 15,8 GWh/j. 

L’interruptibilité « Garantie » : les consommateurs raccordés aux réseaux de transport et de distribution consommant plus de 20 MWh/jour pourront s’engager à réduire leur consommation contre une rémunération avec un préavis de la veille pour le lendemain. Des appels d’offre pilotés par les GRT doivent être lancés à l’automne 2022 pour que ces nouvelles capacités interruptibles soient disponibles en début d’année 2023.​ Le volume maximal à contractualiser par GRTgaz devrait être de 144 GWh/j.

En cas de crise majeure d’approvisionnement, les gestionnaires de réseaux pourraient également être contraints de déclencher des délestages pour sauvegarder l’alimentation des clients protégés (hôpitaux, bâtiments scolaires, installations militaires…) et des particuliers. Cette mesure n’interviendrait qu’en dernier recours.

Enfin, la solidarité européenne via les interconnexions sera au cœur de notre sécurité d’approvisionnement cet hiver. Quels sont vos échanges avec les gestionnaires de réseaux voisins ?

D’une manière générale, GRTgaz travaille en confiance avec les TSO’s voisins avec qui nous entretenons des relations de longue date. Je veux souligner aussi l’excellent travail réalisé par l’ENTSOG en matière de coordination et de vision prospective à l’échelle européenne.

Sous l’effet des événements géopolitiques, la solidarité européenne s’adapte et prend une nouvelle dimension. Depuis la France, en plus des volumes que nous transportons traditionnellement vers l’Italie (via la Suisse), les transits se sont développés ces derniers mois vers la Belgique et vers l’Allemagne (via la Belgique). En entrée, la France compte aussi sur l’Espagne qui vient d’augmenter d'environ un cinquième la capacité de livraison vers la France et qui nous a déjà envoyé du gaz au printemps en saturant l’interconnexion existante.

Cet été, les chefs d’Etat et de gouvernement français et allemand ont annoncé leur volonté de mettre en place des mesures de solidarité réciproques concernant la sécurité d’approvisionnement électrique et gazière. GRTgaz s’est mobilisé fortement pour rendre possible techniquement l’inversement du sens de fonctionnement de l’interconnexion gazière entre nos deux pays et proposer des règles de commercialisation. La CRE les a validés et fixés le tarif de la capacité physique de sortie au point d’interconnexion Obergailbach. Ainsi, depuis le 13 octobre 2022, la France exporte du gaz vers l’Allemagne, c’est une première historique.

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