Questions à Antoine ARMAND, député Renaissance de Haute-Savoie

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Vous avez été élu député à l’issue des dernières élections législatives de juin 2022. Pouvez-vous vous présenter rapidement ? Quels sont les chantiers auxquels vous souhaitez prioritairement vous attaquer durant votre mandat ?

Je m’appelle Antoine Armand, j’ai 31 ans, j’ai été élu en juin dernier député de Haute-Savoie ; c’est-à-dire le territoire d’Annecy, de son lac et des vallées alentours. Je suis issu du ministère de l’Économie et des Finances au sein duquel j’ai travaillé principalement sur des sujets de politique industrielle, à la fois sur la question de la transition du parc automobile et de notre souveraineté industrielle. Les chantiers auxquels je m’attaque en tant que député - au-delà des questions de coûts de la vie et du logement qui sont prégnantes en ce moment - ce sont les chantiers de souveraineté et de réduction des dépendances de notre pays.

A l’été dernier, j’ai été désigné rapporteur pour avis dans le cadre du budget sur le programme de rénovation énergétique : l’enjeu principal m’a semblé être à la fois de répondre à la fois à l’urgence sociale de hausse des prix de l’énergie et de répondre à l’urgence de la transition énergétique.

D’octobre à avril, j’ai été le rapporteur de la commission d’enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté énergétique française.

Au-delà de l’énergie, un pilier de souveraineté sur lequel j’ai un œil particulier, c’est celui de la production agricole dans un cadre vertueux de circuits courts et de préservation de la ressource.

Vous avez été nommé rapporteur de la commission d’enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté énergétique française. Vous avez dit, au moment de la remise du rapport, que la politique énergétique était aujourd’hui l’affaire et la responsabilité de la jeune génération. En quoi est-ce pour vous, un enjeu de génération ? 

C’est effectivement un enjeu de génération, car le constat qu’on fait à l’issue de ces 160 heures d’audition de la Commission d’enquête, c’est celui d’une grande divagation générationnelle, qui trouve probablement sa source dans une illusion de surcapacité et d’abondance énergétique. Il y a toute une génération qui a pensé qu’on pouvait se permettre le luxe d’opposer sobriété, efficacité, énergie renouvelable et énergie nucléaire. Aujourd’hui, une grande partie de la jeune génération se rend compte qu’on ne peut plus se payer ce luxe, face à ce que j’appelle dans ce rapport « le mur énergétique ». Si on veut décarboner et électrifier, il faudra faire de la sobriété, de l’efficacité et toutes sortes d’énergie décarbonée.

C’est un enjeu générationnel car ce sont bien des trente prochaines années dont on parle. On a 30 ans pour réussir notre stratégie nationale bas carbone et pour décarboner notre mix énergétique. Il nous faut parvenir à dégager un consensus national. Ce consensus se situe autant sur la maîtrise de la demande (quels sont les efforts que nous sommes prêts à faire collectivement ?). Un seul exemple : le plan de sobriété de l’automne dernier équivaut à plusieurs réacteurs nucléaires économisés, grâce à une collection de gestes individuels ; c’est inédit et extrêmement puissant.
La question de l’efficacité se pose également. Je vois les jeunes qui jettent de la peinture orange sur les murs des administrations pour alerter sur la nécessité d’agir plus fort pour la rénovation énergétique. J’appelle paradoxalement à ce qu’on les prenne très au sérieux. C’est ici que se situe l’enjeu générationnel : comment est-ce qu’on arrive à transformer cette colère et cette angoisse en une ambition industrielle, d’emploi pour le pays ?
Il y a également les investissements et l’enjeu d’acceptabilité. Il faut qu’on parvienne à créer un consensus au sein de la jeune génération afin qu’on accepte d’installer des ENR et qu’on accepte de consentir à des investissements dans le nucléaire. Je pense que c’est une fois qu’on aura réussi à mettre tout le monde d’accord sur cet enjeu de « mur énergétique » qu’on pourra déployer ensuite déployer ce panel de solutions indispensable.

Selon vous, quel rôle doivent jouer les parlementaires dans l’élaboration de la politique énergétique française ?

Un rôle plus important que les dernières années. Cela pourrait par ailleurs être un addendum au rapport que j’ai rendu à la Commission. On a beaucoup pointé les responsabilités des Gouvernements précédents. Or les parlementaires portent aussi une responsabilité ; des lois ont été votées, d’autres auraient pu être proposées et ne l’ont pas été. Il s’agit donc évidemment d’une responsabilité collective, dont les parlementaires doivent eux-mêmes se saisir.

Le premier devoir parlementaire : c’est celui de l’information, de la capacité à poser les bonnes questions. Il faut savoir se confronter au débat et à l’information technique. Sommes-nous aujourd’hui capables d’avoir un système 100% renouvelables à court terme ? Quelles sont les limités des ENR, peuvent-elles fonctionner seule ? Quelles sont les limites de l’énergie nucléaire comme énergie décarbonée ?

C’est pour cela que j’appelle à ce que l’Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPESCT) prenne un rôle plus important. C’est une instance trans-partisane qui fonctionne bien. On a besoin de donner davantage de visibilité à ses travaux. Plus largement, les parlementaires doivent se former aux enjeux énergétiques.

Je plaide pour une loi de programmation Energie Climat à un horizon de trente ans. Les parlementaires doivent suivre beaucoup plus attentivement l’évolution d’installation des énergies ; nous, parlementaires, devons-nous saisir des évolutions et ne pas attendre d’accumuler d’importants retards. Il ne faut pas attendre dix ans ou quinze ans (comme on l’a fait sur les renouvelables) pour dresser un bilan et se rendre compte que l’urgence est là.

Dès lors, faut-il renforcer les outils de contrôle des parlementaires ?
Oui, sans doute. Dans le rapport que j’ai rendu à l’issue de la Commission d’enquête, je for-mule des propositions pour renforcer le rôle de l’OPECST, notamment qu’il puisse s’autosaisir. Toutefois, le Parlement, a déjà en pratique de nombreuses possibilités dont il doit mieux se saisir.

Au côté du nucléaire, le déploiement des énergies renouvelables est une nécessité pour atteindre la neutralité carbone. La France a l’image des procédures administratives trop longues, des recours nombreux…. La loi ENR promulguée le 10 mars avait pour ambition d’accélérer ce déploiement. Quel est votre regard sur cette loi ? Quelles en sont les mesures phares ?

J’ai été choqué par la position d’une grande partie de l’opposition qui se disait « écologiste ». Quand on repart du principe du « mur énergétique », je suis étonné que certains aient autant fait les « fines bouches » avec le projet de loi qui a été présenté. Si on réussir la transition énergétique, il faudra un consensus très fort. Il faudra accepter aussi qu’il n’y a pas de solutions parfaites. Il n’y a pas de solution qui produit de l’énergie et qui n’a aucun impact environnemental. C’est sans doute une erreur qui a été faite jusqu’ici, c’est de ne pas voir que la production énergétique est d’abord une production de nature industrielle. Si on veut accélérer la production industrielle, il ne faut pas être en retard, mettre les moyens pour la développer et aller encore plus loin dans l’accélération d’installation d’ENR. Un des points très positifs de la loi à mon sens, c’est d’avoir cartographié les zones destinées à l’installation d’éoliennes en mer. On a aujourd’hui l’ambition 40GW et 50 parcs d’éoliens en mer. Il faut donc accélérer les appels d’offre afin de donner de la visibilité aux industriels. Cela témoigne d’une volonté forte, nécessaire et utile pour rassurer les industriels dans leurs investissements.

Dans les prochaines années, il faudra sans doute aller encore plus loin dans la contrainte, notamment dans l’obligation d’installation d’ENR pour couvrir le fossé énergétique.

Les pays de l’Union européenne sont libres dans le choix de leur mix énergétique. Dans votre rapport, vous écrivez que l’énergie nucléaire est « le pilier de la production et de la souveraineté électrique » française. Comment défendre cette spécificité française au niveau européen ? 

Avant de s’interroger sur comment la défendre, il faut commencer par défendre en soi cette spécificité nucléaire française au niveau européen. Il faut sortir d’une forme d’insouciance dangereuse, à savoir cette ambiguïté peu constructive entre les textes du traité qui affirment la souveraineté des États-membres en matière énergétique, et les textes européens qui permettent des investissements plus ou moins importants dans certaines technologies. De fait, ces investissements viennent rompre avec le principe de subsidiarité qui s’applique sur la détermination du mix énergétique.

Si la France ne parvient pas à convaincre ses partenaires, que la priorité absolue est le carbone avant de choisir entre les sources d’énergie bas-carbone, il faut que les États-membres acceptent que la France continue d’investir dans la technologie nucléaire.

Il faut penser comme un « pack » les règles industrielles et le marché européen. Le marché ne doit pas soutenir une production énergétique plutôt qu’une autre. Ce n’est pas encore le cas aujourd’hui : le marché avantage les producteurs de gaz lorsqu’il y a un risque de pénurie et avantage les États qui ont développé un mix ENR-gaz quand les prix sont très faibles. Cela interroge aujourd’hui sur la place du mix électrique français. Il faut que le marché aille dans le sens de contrats de long-terme, d’approvisionnement, afin de permettre à la France de bénéficier de son avantage comparatif.

La prochaine loi de programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) doit être examinée par le Parlement d’ici la fin de l’année 2023. Qu’en attendez-vous ?

D’abord, je me félicite que la Première Ministre ait annoncé l’examen de ce texte. C’est indispensable qu’il soit débattu à l’Assemblée nationale, même s’il générera sans doute des discussions politiques difficiles. Malheureusement, et je le déplore, nous ne sommes pas encore sortis du débat d’opposition entre énergies renouvelables et énergie nucléaire.

J’attends de la PPE, du moins je crois qu’on doit exiger des parlementaires, d’être au rendez-vous d’une prise de conscience générale et partagée du « mur énergétique ». Il faut qu’on soit capable de se fixer l’objectif commun de sortir de la lutte entre les trois chapelles : sobriété/efficacité ; énergies renouvelables et nucléaire.

Il faudra ensuite se donner une échéance de long terme. J’ai proposé dans le rapport de la Commission d’enquête que la France puisse se donner une échéance à trente ans. Il faut se donner des objectifs industriels ; le soutien à la recherche et au développement à la re-cherche industrielle et aux capacités installées. Il faudra faire tout cela avec méthode. Le rapport par exemple, demande à RTE de faire un panorama des ENR électriques pour mesurer leurs qualités et leurs défauts propres ; demande à EDF de projeter des grands chantiers à courte et moyenne échéance. Le rapport souligne aussi la pertinence des travaux de l’OPECST et lui demande de se positionner sur différentes solutions de recherche pour choisir celles qu’il faudra soutenir en priorité. Enfin, il est nécessaire d’avoir le débat le plus large possible et que chacun prenne ses responsabilités sur cette loi de programmation.

J’estime que cette loi est une opportunité pour les députés de montrer un moment de « maturité parlementaire » en prenant la mesure de l’importance de ces enjeux pour l’avenir.

Un dernier mot … ?

Si on sort de la mauvaise foi et qu’on partage le constat du « mur énergétique » dans les pro-chaines années, je suis persuadée que les forces politiques trouveront un terrain commun pour sortir des oppositions de chapelle, car on a besoin de l’ensemble des solutions, c’est-à-dire, à la fois de sobriété et d’efficacité, des énergies renouvelables et de l’énergie nucléaire.
Avec la Commission d’enquête, un travail de mise au jour et de bilan de la politique énergétique de ces trente dernières années a été fait. Ce bilan nous oblige et doit nous interdire de répéter les erreurs du passé.

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